COPROPOLIS
2.4 Les origines de cette croissance fulgurante
français | english
Navigation
Ce wiki
Cette page
2.4    Les origines de cette croissance fulgurante :

Après avoir décrit les grands mouvements de population vers les villes et avoir tenté de mesurer l'ampleur de ce changement et avant de passer plus en détails sur les réalités morphologiques et écologiques, il est important de saisir quels ont été les inhibiteurs puis les déclencheurs de cette ruée vers le monde urbain.

Bien que le phénomène d'urbanisation des pays du Sud soit très complexe, on peut distinguer, selon Mike Davis trois périodes majeures:


  • la première période est caractérisée par la contention du phénomène de l'urbanisation effectuée par des pouvoirs coloniaux, des dictatures ou des pouvoirs à caractère ségrégationniste.

  • la deuxième période (1950-70) présente une forte croissance urbaine consécutive aux guerres d'indépendance, aux instabilités politiques et à une mécanisation des campagnes.

  • La troisième période (1970-2000) marque une seconde poussée de croissance urbaine générée par des Plans d'Ajustement Structuraux de tendance néolibérale soutenue par les prêts de la Banque mondiale et du FMI.


Première période:


Dans son ensemble les pouvoirs coloniaux ont toujours promu une politique de ville "civilisée" où l'indigène n'avait pas sa place. Par exemple, les colonies britanniques interdisaient à leurs ressortissants indigènes l'accès à la propriété foncière et le droit de résidence permanent en ville. Au Kenya, jusqu'en 1954, les africains étaient considérés comme des occupants temporaires de Nairobi, ils ne pouvaient ni louer ni acheter une habitation.


En Afrique du Sud, jusque dans les années 90, l'apartheid utilisa des outils similaires pour freiner l'immigration urbaine des populations noires.

En Inde aussi, les Anglais avaient des politiques très rigoureuses, interdisant l'occupation de terrain et l'économie informelle en chassant les vendeurs de rue. C'est la raison pour laquelle Bombay, malgré ses usines textiles ne crût que très lentement. En 50 ans, entre 1891 et 1941, sa population n'a même pas doublé .

Les politiques chinoises de contention de l'urbanisation ont eu une histoire plus longue liée aux différents pouvoirs dictatoriaux en place. En 1949, la révolution chinoise ouvrit les portes de la ville pour les réfugiés et ex-soldats paysans à la recherche d'emploi. Mais après un afflux incontrôlé de 14 millions de personnes en 4 ans, le nouveau régime mit en place un contrôle strict sur les migrations internes. Avec l'adoption d'un système de certificats de résidence (hukou) les citoyens étaient tenus de devenir membres sédentaires d'une unité de travail. Après les années 60, le gouvernement chinois développa même des politiques de retour en zone rurale et plus de 50 millions de chinois furent ramenés à la campagne. Des politiques de désurbanisation semblables ont été mises en oeuvre en 1950 par la Corée du nord et le Vietnam, puis en 1975 de manière dramatique par le gouvernement Cambodgien de Pol Pot.

En Amérique Latine, les obstacles à l'urbanisation n'ont pas été aussi systématiques, mais la classe dirigeante des blancs s'est toujours arrangée pour faire la "guerre aux occupations illégales" des noirs et des indigènes.



Deuxième période:

Dans la seconde partie du 20ème siècle, les blocages institutionnels à la croissance rapide des villes furent levés par les mouvements d'indépendance nationale en Afrique et en Asie et par l'instabilité politique des pays d'Amérique Latine. Mais avant tout ce sont les guerres et les famines qui furent les grands moteurs de l'urbanisation informelle.

Selon l'historienne Marilyn Young, la guerre du Vietnam a fait passer la population urbaine du Vietnam du Sud de 15% à 65%, dont 5 millions de paysans obligés à aller rejoindre les favelas et les camps de réfugiés.

De la même façon, les 7 années de guerre d'Algérie ont déplacé la moitié de la population rurale vers les villes. Puis le nouveau gouvernement se lança dans l'industrialisation lourde à la mode soviétique et abandonna progressivement l'agriculture de subsistance, ce qui renforça encore l'exode rurale.

En Afrique subsaharienne, peu après les différentes guerres d'indépendance nationale, le taux d'urbanisation doubla par rapport à l'augmentation naturelle de la population.

En Amérique Latine, l'histoire de la formation des "barrios" de Caracas montre comment l'instabilité politique a amené les différents protagonistes au pouvoir à fermer les yeux sur les occupations illégales en échange d'appuis politiques. Entre 1958 et 60 après l'expulsion de Pérez Jiménez et avant l'élection de Rómulo Betancourt, ce sont 400.000 personnes qui envahiront la ville. Ensuite la compétition intense pour l'obtention des votes entre les deux principaux partis politiques occasionna une croissance urbaine comparable a celle des pays africains - en 10 ans (années 60), la population urbaine du Vénézuela passa de 30% à 60% (Urban Planning Studio, 2001).

La Chine a commencé à assouplir son contrôle de la croissance urbaine au début des années 80. L'arrivée en masse de paysans pauvres dans les villes a fourni du personnel bon marché en quantité pour les « sweatshops » - littéralement « fabrique de sueur », un nom éloquent donné aux industries textiles chinoises. Ce tribut payé au capitalisme est estimé à 100 millions de personnes. Ces « sans papier », et donc sans droit au logement et aux services sociaux, sont les fondateurs de ces favelas qui font exploser les périphéries urbaines chinoises.




Troisième période:


Dans les années 70, le Fond Monétaire International et la Banque Mondiale, se détournaient des pays du Nord et concentraient leur action sur les pays du Sud qui souffraient tout particulièrement des crises pétrolières. L'objectif était d'accorder des prêts à ces pays en contre partie de plans d'ajustements structuraux visant la diminution des dépenses publiques, la privatisation des entreprises d'Etat et l'ouverture des marchés pour la mise en place de politiques de croissance. Ces stratégies néo-libérales voulaient permettre aux pays du Sud d'assainir leurs finances afin de relancer leurs économies. Cependant les mécanismes exogènes comme la chute des prix des matières premières ou le coup exorbitant des dettes ne fût pas suffisamment pris en compte. (Frances Stewart)

Après 30 années d'efforts, la croissance n'est pas au rendez-vous et les conséquences sont dramatiques. L'Amérique Latine a souffert d'une dépression extraordinaire. Selon les recherches de l'OIT la pauvreté urbaine augmente de 50% en 6 ans seulement, entre 1980 et 1986. Le revenu médian de la population économiquement active chuta de 40% au Vénézuéla, 30% en Argentine et 21% au Brésil et au Costa Rica (Minujin, 1995). Au Mexique les emplois informels ont pratiquement doublé entre 1980 et 1987 pendant que les dépenses sociales chutèrent de moitié par rapport au niveau de 1980 (Escobar; Gonzalez de la Rocha, 1995). Le Pérou termina les années 80 avec une « super-récession » qui réduisit en 3 ans l'emploi formel de 60% à 11% de la force de travail urbaine et ouvrit les portes des favelas de Lima à la révolution sanglante du Sentier Lumineux (Dietz, 1998).

En Afrique, selon Carole Rakodi, ces ajustements structuraux provoquèrent, le collapsus de l'industrie, l'augmentation marginale ou négative des exportations, des coupes drastiques dans les services publics urbains et une chute du pouvoir d'achat. Abidjan, l'une des villes tropicales africaines qui avaient une industrie textile importante est rentrée, suite à ces ajustements, dans une phase de désindustrialisation, provoquant une rapide détérioration des services publics tels que les transports et l'assainissement de base. Résultat, la pauvreté urbaine de la Côte d'Ivoire doubla entre 1987 et 1988. Au Niger, mêmes résultats, l'extrême pauvreté s'urbanise toujours plus et croît dramatiquement, elle est passée de 28% en 1980 à 66% en 1996. "Le PNB par habitant, aujourd'hui aux alentours de 260 dollars, explique la Banque Mondiale, est plus bas qu'à l'époque de l'indépendance, 40 ans auparavant et plus bas que les 370 dollars atteint en 1985".

En même temps les ajustements structuraux dont il est fait mention plus haut écrasèrent les pauvres et la classe moyenne, ils ouvrirent des opportunités lucratives pour les privatiseurs, les investisseurs étrangers et les responsables militaires et politiques. La consommation ostentatoire atteint des niveaux hallucinants en Amérique Latine et en Afrique durant les années 80, avec des nouveaux riches faisant des orgies d'achats à Miami ou à Paris, pendant que leurs compatriotes des favelas mouraient de faim. L' indice d'inégalité est là pour en témoigner, il a atteint son apogée durant cette même décennie. Et tout particulièrement en Amérique Latine, où selon un rapport de la Banque Mondiale, le coefficient Gini mesurant l'inégalité est dix points plus élevé que dans les pays d'Asie, 17,5 points plus élevé que dans les pays de l'OCDE et 20,4 points plus élevé que dans les pays de l'Europe orientale.

Aux quatre coins de l'hémisphère Sud on a vu se répéter les mêmes scénarios, un petit nombre d'élus est appelé à rejoindre le rêve occidental quand la grande majorité du peuple est laissée sur le carreau. En affirmant que "la principale cause de l'augmentation de la pauvreté et de l'inégalité durant les années 80 et 90 fût le retrait de l'État", The Challenge of Slums pointe du doigt cette politique néo-libérale promue par le FMI et la Banque Mondiale, responsables de ce désengagement. Après trente années de crises économiques, d'exacerbation des inégalités et d'absence d'Etat Social, les pauvres survivent comme ils peuvent, là où ils peuvent, mais le plus souvent dans les favelas, bâtissant les nouvelles périphéries des centres urbains.

On le voit, les nouvelles formes d'économie et l'absence de volonté politique pour une meilleure répartition des richesses ont largement contribué à accroître le phénoméne des favelas.

 

Chapitre suivant

Rechercher
Partager