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2.1 La Favela, histoire de définitions
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2.1    La Favela, histoire de définitions :


En 1812,on trouve pour la première fois le mot "slums" - traduction anglaise de favela - dans les écrits du britannique James Hardy Vaux qui entend par là, racket et commerce criminel (Prunty,1998). En Angleterre toujours, en 1830, on vivait déjà dans des slums, quartiers de dépravation que le Cardinal Wiseman imaginait pouvoir transformer, comme cela ressort de ses textes sur les réformes urbaines (Yelling,1987). Ensuite au milieu du 19ème siècle, les slums sont reconnus comme phénomène mondial, qu'on rencontre aussi bien en France, en Amérique qu'en Inde. On débat même des lieux où la misère humaine est la plus horrible: Les journalistes anglais du Scribner's Magazine parlent d'un quartier de Naples comme d'«habitations humaines les plus effrayantes de la face de la terre » (Woods, 1895), Gorki estime pour sa part que le quartier Khitrov de Moscou était le « fond du fond » (Ruble, 2001), quant à Kipling il décrit Colootollah à Calucta comme « le plus vil de tous les égouts »(Kipling,1891).

Toujours au 19ème siècle, les réformateurs urbains s'entendaient pour définir une favela comme un amalgame d'habitations dilapidées, de surpopulation, de maladie, de pauvreté et de vices. La dimension morale était importante, ces quartiers étaient le lieux d'actes amoraux et criminels. En 1894, dans une recherche pseudo-scientifique intitulée « The Slums of Baltimore, Chicago, New York, and Philadephia », le slum est défini comme « une zone d'impasses et de ruelles sales, principalement habitées par une population de misérables et criminels » (Wright,1894).

Deux siècles plus tard, la question des Favelas a pris de telles proportions que "ONU-Habitat" estime nécessaire de lancer un recensement mondial de ce fléau planétaire. Cependant la tâche n'est pas aisée. Jusqu'en 2002 aucune définition de "la favela" n'est reconnue internationalement et les indicateurs et les sources d'informations sont lacunaires. C'est l'effort de plus de 100 chercheurs travaillant sur de nouvelles sources d'analyses et d'informations qui permit la parution en 2003 du premier rapport scientifique mondial sur la pauvreté urbaines, « The Challenge of Slums ».

Pour définir la favela les chercheurs de cette étude se sont limités aux caractéristiques physiques et légales de l'occupation, en évitant les dimensions sociales plus difficiles à mesurer. La dimension criminelle des siècles précédents a été éliminée mais le contenu reste le même:


  • surpopulation,

  • habitations pauvres et informelles,

  • accès inadéquat à l'eau potable et aux services sanitaires et

  • droit de propriété foncier non garanti. (Mboup,2004)


Avec cette définition, les chercheurs ont recensé en 2003, 921 millions de personnes habitant dans des favelas. Soit 32% de la population urbaine mondiale qui se répartit à travers le globe de la manière suivante: 6% pour les pays développés, 43% dans pays en développement et jusqu'à 78% dans les pays les moins développés. Durant les années 90, l'augmentation du nombre de personnes vivant dans une favela a été d'environ 36%. En 2005, on en dénombrait déjà plus d'1 milliard et si rien n'est fait pour résoudre ce fléau d'ici 30 ans, on devrait atteindre les 2 milliards (Bolay, 2006).

Pour donner quelques exemples, l'Éthiopie, l'Afghanistan, le Tchad et le Népal ont plus de 90% de leur population urbaine qui vit dans des urbanisations de type "favelas". La ville de Mumbai, avec 10 à 12 millions de squatters de terrains détient le triste record de la plus grande densité de favelas du monde. Suivent Mexico et Daca avec 10 millions, Le Caire, Karâchi, Kinshasa-Brazzaville, São Paulo, Shanghai et Delhi avec des chiffres variant entrere 6 et 8 millions chacune (UN-Habitat, 2003).

Bien que ces chiffres énoncent toute l'étendue du problème, certains chercheurs comme Mike Davis estiment la définition de "ONU-Habitat" trop restrictive. Il cite l'exemple du Mexique où d'après l'ONU, seulement 19,6% des habitants urbains vivraient dans des favelas. Selon lui, « en général les spécialistes locaux admettent que quasi deux tiers des Mexicains vivent dans des colonies populaires et des immeubles encore plus vieux. » - Nous verrons dans le chapitre 3 plus précisément les différentes typologies des favelas -. Il relève aussi un autre point très important qui réside dans le fait que tous les pauvres urbains ne vivent pas dans les favelas et que tous les habitants des favelas ne sont pas tous pauvres. Si l'on calcule le nombre de pauvres urbains avec l'indice de pauvreté national relatif, ce n'est pas seulement le tiers des habitants des villes qui vivent dans des conditions de pauvreté mais la moitié (Datta et Jones, 1999).

La définition du phénomène des favelas est encore à géographie variable. Cependant il est indéniable que The Challenge of Slums a posé les jalons pour la reconnaissance mondiale de la gravité du problème de la pauvreté urbaine et de son habitat.

De nombreux facteurs tentent d'expliquer les raisons de ce drame. Le plus important, selon les spécialistes, est l'extraordinaire croissance urbaine qu'a subie notre planète lors des deux siècles précédents. À l'époque de la révolution française, seul 2% de la population était urbanisée, aujourd'hui nous sommes sur le point de franchir la barre des 50% et chaque jour 180.000 nouvelles personnes viennent accroître la population urbaine (UN-Habitat, 2002).

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