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3.4 L'architecture vernaculaire,
Nous avons pu voir durant le survol de la « planète favelas » comment la ville contemporaine était devenue le lieu des plus grandes injustices, de l'exploitation généralisée de l'homme par l'homme et de la fracture écologique. On est loin de l'image idéalisée de la cité grecque où le peuple, rassemblé sur l'agora, décide de son destin, ou de cette « cité radieuse » qui devait offrir tous les services à cet « homme moderne » habitant dans sa tour cerclée de forêts luxuriantes. Pour un tiers des habitants des villes du globe, leur seule utopie est de trouver un toit d'où ils ne se feront pas expulser, un chez-soi qui aurait l'eau, l'électricité et des toilette, le minimum pour les tirer de leur précarité quotidienne. Comme certains urbanistes l'ont constaté, les défis de la planification n'est plus seulement une question physique mais avant tout un enjeu social. Aujourd'hui si l'architecte veut mettre les mains à cette pâte en fusion, il ne peut pas espérer jouer le même rôle que celui qu'il joue avec une clientèle financièrement aisée. Pour partager son savoir, il doit avant tout comprendre la réalité de ces gens et servir de catalyseur pour permettre aux ressources locales d'initier cette action sociale qui seule peut amener au changement. C'est ce long travail de tissage du lien social, ces milliers de petits projets propres au lieu qui donneront forme à une ville où chacun trouvera sa place et où l'urbanisation retrouvera son sens.
Pour décrire ce rapport à la ville, je considère judicieux d'employer l'adjectif vernaculaire. Cette épithète, il est vrai, a déjà été utilisé à de nombreuses reprises dans l'histoire du langage architectural. Il y a eu la conception identitaire, patriotique des années trente qui l'assimila à une vision nationaliste. Ensuite dans les années 70, le vernaculaire désignait une série de typologie – rurale, traditionnelle, populaire, paysanne, primitive,...- aux contours flous. Un lien pourtant semblait les réunir, le fait que ce ne soit pas des « professionnels » qui en soient les auteurs, « une architecture sans architecte » comme on l'enseigne encore à l'Ecole Polytechnique Fédérale de Lausanne. Puis,« L'architecture vernaculaire, avec la création de musées de plein air, d'écomusées etc. a fini par être assimilée aux stratégies patrimoniales, à la question du deuil et à la construction d'une mémoire collective, au folklore » (P.Frey, 2006). Ces conceptions ont toutes leurs fondements, mais l'adjectif vernaculaire mérite une relecture contemporaine. Lorsque je fais appelle à la notion de vernaculaire, je me réfère avant tout à son sens littéral : « qui est propre à un pays, à ses habitants ». Je parle d'une architecture qui soit propre au lieu autant du point de vu social, économique qu'environnemental, triade de la conscientisation écologique qui traverse en ce moment notre société, d'une architecture qui tente de répondre au dilemme posé par notre style de vie occidental face aux déséquilibres mondiaux. Ainsi l'architecture vernaculaire n'est pas seulement un ensemble d'objets à épousseter mais peut être vue comme une stratégie d'actions pour répondre aux défis de notre époque. C'est dans cette conception de l'architecture que l'architecte Jacque Ferrier s'inscrit lorsqu'il fait l'éloge des stratégies du disponible. Ou comment, à l'image de ces favelas, certains citadins savent tirer parti des ressources locales, allant des ordures aux infrastructures publiques. Il faut réapprendre ce pragmatisme et percevoir les nécessités qui y sont liées. C'est ainsi que, basant son action sur le respect des pratiques, des valeurs et des potentialités de chacun des habitants, la production architecturale vernaculaire saura être celle qui trouvera des solutions appropriées aux exigences du lieu.
Ainsi repositionné, l'architecte « facilitateur » aura pour le moins, ces quelques balises pour guider ses actions au sein de cette masse urbaine trépidante qui recouvre aujourd'hui les villes du sud. Et dans cette recherche du partage de ses connaissances, il participera, je l'espère, à l'édification de ces villes vernaculaires, où l'urbanisation retrouvera un sens pour tous. |