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2.5 Écologie des Favelas
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2.5            Écologie des Favelas

 

Qu'elles soient sur les pentes escarpées des collines de Caracas, sur les abords pollués des chantiers de démantèlement d'épaves toxiques d'Arang (Inde) ou sur les rives des eaux excrémentielles de la rivière Tijipio à Recife, les terrains que les favelas occupent sont toujours à hauts risques. Les pauvres urbains échangent leur intégrité physique et leur santé contre quelques mètres carrés de terre et une certaine garantie de ne pas être expulsés.

C'est pour cela qu'on retrouve la plupart des favelas dans des anciens marais, dans des zones sujettes aux inondations saisonnières, sur les flancs d'un volcan ou d'une colline chancelante, sur une décharge d'ordures ou de déchets chimiques et le long de voies de transports rapides. C'est justement parce que ces endroits sont si dangereux et inhospitaliers qu'ils offrent une protection contre d'éventuels promoteurs privés ou publics.

Dans les villes brésiliennes comme Rio de Janeiro, Belo Horizonte et Recife la topographie urbaine a amené de nombreux pauvres urbains à occuper les collines. Suite au déboisement, à l'extrême densification du sol et l'absence de travaux de soutènement, ces habitations sont sujettes à des glissements de terrains et à de très dangereux éboulements. Selon une étude de 1990, 16 % des habitants des favelas de Rio perchés sur ces collines courent un risque à court et moyen terme pour leur vie et leurs biens (Taschner, 1995). À Caracas, c'est quasiment deux tiers de la population urbaine qui vivraient sur des flancs de collines instables où les terrains risquent à tout moment de glisser, risque encore exacerbé par l'activité sismique de la région (Jimenez.Diaz, 1994).

Les inondations sont aussi un danger que bon nombre de favelas doivent affronter. A Recife, les systèmes de drainage datent encore de l'époque coloniale et sont le plus souvent obstrués par des ordures. Ainsi à chaque saison des pluies on voit les eaux sortir des bouches d'égouts et inonder des quartiers entiers. A Manille, ces mêmes anomalies accentuées par la déforestation  provoquent chaque année de terribles inondations qui touchent le quart de la population la plus pauvre. En 1998 c'est 300 milles personnes qui ont perdu leur foyer suite à une tel phénomène.


Selon Kenneth Hewitt, géographe spécialiste en risques, les tremblements de terre sont responsables de la destruction de plus de 100 millions d'habitations durant le vingtième siècle. Et ce sont bien entendu, les habitations précaires des favelas qui ont été les plus touchées. Un exemple, lors du séisme de 1978 au Guatemala 1,2 millions de personnes perdirent leur maison et les 59 milles foyers de la capitale qui furent dévastés étaient quasiment tous situés dans des favelas.


 Mais le danger qui préoccupe avant tout les habitants des favelas, est la peur du feu. « Le mélange d'habitations inflammables, la densité extraordinaire et l'utilisation de foyers pour chauffer et cuisiner constituent une recette parfaite pour une combustion spontanée » (Davis, 2006). Une fois le feu pris, il peut se propager extrêmement vite et les pompiers, s'ils se déplacent, sont stoppés par l'étroitesse des ruelles. Même si ces feux peuvent être accidentels, dans certains cas, ils sont le fruit d'un comportement irresponsable. A São Paulo, par exemple, j'ai eu l'occasion de rencontrer des jeunes dont le passe-temps consiste à confectionner des « Balão », sorte de mini montgolfières qui une fois en l'air prennent feu et retombent ainsi sur la favelas. Mais le feu peut aussi être une bonne stratégie pour un promoteur désirant « nettoyer » un terrain favélisé qui aurait pris de la valeur.

Aux risques naturels qu'encourent les favelas, il faut ajouter ceux liés plus spécifiquement au milieu urbain. Dans la liste des terrains sans valeur immobilière, on peut rajouter tous ceux qui sont ou ont été souillés par une industrie polluante, ceux qui subissent les nuisances d'un trafic hypertrophié et ceux délaissés par l'Etat dont les infrastructures se dissolvent.

Dans les pays du Sud, les exemples d'industries polluantes sont légions, raffineries, fabriques de pesticides, retraitement des déchets informatiques, recyclage de batteries, fonderies, teinturies, tanneries, etc... Comme les normes environnementales sont souvent inexistantes et que ces industries sont entourées de favelas, on constate d'innombrables tragédies. L'année 1984 a été  particulièrement tragique, un oléoduc explosa en février à Cubitão (São Paulo), et provoqua un incendie qui tua 1500 personnes. Huit mois plus tard, une fabrique Pemex de gaz naturel liquéfié explosa dans le quartier de San Juanico à México et 2 milles habitants de la favela voisine furent tués. Trois semaines plus tard, la fabrique d'Union Carbibe à Bhopal, capital de Madhya Pradesh, libéra un nuage de toxique qui tua sur le coup 7.000 personnes, puis ultérieurement 15.000 succombèrent à des maladies. Ils suffit d'éplucher les journaux du Sud pour se rendre compte du nombre toujours plus croissant de faits divers du même type. A chaque fois, les personnes qui sont dans les conditions les plus précaires sont le plus sévèrement touchées.


Un autre prédateur du pauvre urbain est en train de se répandre de façon extraordinaire dans toutes les villes du Sud : les véhicules motorisés. En 1980, 18% des voitures du monde se trouvaient dans les pays du sud, en 2020 on prévoit que ce rapport sera de 50% (Pemberton, 2000), (Sperling; Clausen, 2002). Avec l'explosion des transports individuels motorisés et l'absence d'infrastructure adéquate, le trafic tue aujourd'hui plus d'1 million de personnes par année dont deux tiers de pédestres. Selon l'OMS les coûts économiques globaux des morts et handicapés de la route seraient quasiment équivalents à deux fois le budget total de l'aide au développement accordé à l'ensemble des pays du Sud. Ils prévoient qu'en 2020 la route sera la troisième plus grande cause de mortalité pour les pauvres urbains.

Parallèlement, l'absence de volonté politique pour améliorer les transports publics rend ceux-ci inaccessibles aux pauvres et la qualité des services est tellement médiocre qu'un citoyen de classe moyenne ne rêve que d'une chose: posséder son propre véhicule. A Recife par exemple, le prix d'un aller simple sans transbordement coûte 2,45 Reis quant un salaire minimum est des 300 Reis. Pour se rendre à son travail en bus, un employé gagnant un salaire minimum devra dépenser un tiers de son budget.

La ville est souvent considérée comme une réponse adéquate à l'exceptionnelle augmentation de la population mondiale. En effet, la densité urbaine devrait pouvoir permettre une utilisation plus efficace du sol, de l'énergie et des ressources naturelles. Dans l'imaginaire occidental, la ville est aussi le symbole des espaces publics démocratiques où peuvent éclore les institutions culturelles et toute la palette des services qui assurent la qualité de vie de l' « homme moderne ». Cependant, pour matérialiser cette ville, il faut trouver un équilibre entre les besoins humains et le milieu qui accueille cette collectivité. Nous constatons dans les pays du sud que l'urbanisation détruit tous les écosystèmes qui permettraient à ces cités d'être vivables.


Un des principaux défis que rencontre chaque ville est la gestion de ses déchets. Et ce paramètre est l'un des problèmes majeurs des villes du Sud. En effet, on remarque que la plupart des services de récolte et de traitement des ordures ménagères sont déficients. Quant ces déchets ne sont pas récoltés ils s'accumulent dans les interstices du tissu urbain, des collines surgissent sur d'anciens terrains vagues, les fossés et les lits des rivières se remplissent et polluent les nappes phréatiques.


Le problème est encore exacerbé par l'urbanisation galopante qui dévore les terres fertiles bordant les villes. La production maraîchère qui se faisait en bordure de la ville est aujourd'hui repoussée toujours plus loin.  La sécurité alimentaire n'est plus assurée et des problèmes de santé publique surgissent, causés par la pollution de l'agriculture périurbaine. En effet le déversement des égouts non traités dans les cours d'eau des villes atteint les cultures situées aux abords des villes. Par exemple, les paysans de la périphérie de Dakar utilisent les effluents urbains comme eau et fertilisant pour leurs cultures, de la sorte que les pathogènes se retrouvent dans les aliments qui contaminent les consommateurs (Felix, 2005) . Mais cette pollution atteint aussi les sources d'eau potable de la ville. 

A Sao Paolo par exemple, pour résoudre le problème de l'eau contaminée par les eaux usées, la ville doit traiter l'eau de son réseau avec 170.000 tonnes de produits chimiques. Même ainsi, les citadins doivent acheter leur eau de boisson en bouteille. Seuls 10% des excréments humains sont traités en Amérique Latine (Stillwagon, 1998). Cette situation se retrouve sur l'ensemble de l'hémisphère Sud et a des répercussions dramatiques sur les populations pauvres. D'après Eileen Stillwaggon, spécialiste en Santé Publique, les maladies liées à l'eau, les égouts et les ordures tuent chaque jour 30.000 personnes et sont responsables de 75% des problèmes de santé de l'humanité. Cet échec sanitaire mondial est perceptible dès la première visite d'une ville du Sud et Recife ne fait pas exception. Cette thématique de la gestion sanitaire des pauvres est la question qui guide mon travail de Master. Je présenterai donc plus en détail les enjeux de cette crise dans le chapitre 4.


 

Comme nous avons pu le voir la pauvreté urbaine ne se résume pas à un faible pouvoir d'achat. Les conditions de survie du tiers de la population urbaine mondiale est un véritable enfer. Le milieu qui les reçoit n'a ni les atouts d'une zone urbaine – accessibilité aux services modernes (santé, éducation) – ni ceux d'une zone rurale – relative sécurité alimentaire (agriculture vivrière), absence de pollutions industrielles. Au contraire, il réunit l'ensemble des dysfonctionnements des deux mondes - absence de toutes infrastructures, extrême pollution et insécurité alimentaire -.


Cette constatation est illustrée par l'étude épidémiologique d'une équipe de chercheurs américains en Santé Publique. D'après elle, les pauvres urbains sont confrontés autant aux maladies liées au sous-développement qu'à celles liées à l'industrialisation. Du premier, ils héritent des maladies infectieuses liées à la malnutrition, et du second des maladies chroniques et sociales (Werna; Blue; Harpham, 1997) . Ainsi on voit d'un côté apparaître dans les favelas des maladies confinées généralement aux zones rurales comme la teniase, nematodiase, esquistosomose, trypanosomiase et dengue et de l'autre les diabètes, cancers et autres problèmes cardiaques qui font, elles aussi d'innombrables victimes (Horton, 2003).

Grâce à ce survol de la réalité des favelas, j'ai eu l'occasion de mieux situer le milieu dans lequel je mène mon travail de Master. Il m'a permis de mettre en perspective l'échelle du problème, ses caractéristiques principales et certains éléments qui pourraient en être la cause.

Afin de saisir la démarche de mon travail et d'assurer sa cohérence, le second élément qu'il est nécessaire d'analyser est le rapport qui lie l'architecte avec le phénomène des favelas. Quelles positions l'architecte peut-il prendre face à cette extraordinaire production d'environnement construit ?

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